La porte entrebaîllée
Quand j’étais ti-cul, à 6 ans, j’étais un paquet d’énergie comme le sont tous les autres ti-culs de la terre. Ma mère me mettait au lit à huit heures et pourtant la dernière chose que je voulais faire était bien celle d’aller me coucher. Dès qu’elle me disait: “Allez fiston, on s’en va faire dodo!” ma réponse était “Noooooooooooon!!!”. Il m’apparaissait alors que seul le pouvoir de la négociation infantile avait un rôle salutaire à jouer. À force de parlementeries serrées de courte durée et tirant sur les sensibles cordes parentales, l’unique gain possible issu de mon plaidoyer de chaque soir était celui que l’on laisse ma porte de chambre entrebaîllée pour ne pas perdre ce lien ombélical avec le monde extérieur, lui encore actif et bien vivant après huit heures. Une fois au lit, dans la pénombre de ma cellule, afin de me distraire, je me frottais les yeux avec pression pour faire naître des spectacles kaléidoscopiques, je grignotais les fils de trop de mon pyjama usé et j’encaissais des frissons causés de temps en temps par les éclats de rire émanant de la télé du salon. Tant bien que mal, je mâchouillais mon mal en patience… mais parfois, à l’occasion, quand je n’espérais plus que l’on vienne me sauver du calvaire de n’avoir rien à faire, il surgissait subitement un soir de gloire. Il y avait un match d’hockey à la télé.
Et dès que la rondelle était déposée au cercle de la mise au jeu, mon mal devenait subitement joie. J’osais, au risque de conséquences graves d’un tel affront aux ordres de la loi parentale, me glisser hors des couvertes de mon lit et marcher silencieusement, tel un chat, à la fente illuminée d’un pouce au chambranle du portail de ma cage et de m’y asseoir au plancher. De là, l’oeil gauche bien placé, j’y voyais les matchs entiers des Canadiens. Ma passion du hockey là est née. Ce n’était pas seulement que je découvrais un beau sport empli d’excitation commentée et de clameurs de foules; plus important encore, c’était aussi une promesse qu’un jour, je deviendrais un participant actif à l’extraordinaire aventure du monde, après huit heures.
Il me fallait prendre mon mal en patience sachant qu’un jour, oui un grand et beau jour, je serais libre. Un jour… oui… mais qui m’aurait dit que ce jour là, eh bien que je l’anticiperais encore beaucoup plus tard, à titre d’adulte mûr. Je peine encore à y croire.
Ce qui est fait est fait. Nos parents semblent nous dire qu’ils vont bientôt nous laisser aller redécouvrir le monde. Oui, semblerait-il, le retour du hockey, c’est pour bientôt. Alors, on se prépare.